Présentation du projet "Un art des pierres" par Marc Lucas, 2008.

"Exposer des pierres naturelles à l’état brut, récoltées d'Erquy au Cap Fréhel.

Des pierres dont la forme, la texture, les couleurs et la patine sont données par la nature même de la roche. Elles sont issues du matériau et de son érosion. Elles l’identifient.

Ce sont des formes abstraites dont la beauté se suffit à elle-même. Tout est question de regard. En Chine et au Japon, des arts des pierres sont à l’honneur depuis des millénaires et sont toujours vivants aujourd’hui. Le regard posé sur les pierres est révélateur d’une culture. La question du regard importe d’autant plus lorsqu’on s’interroge sur le développement durable, souvent sans tenir assez compte de la géologie. Celle-ci est pourtant le socle du paysage, la base des très nombreux écosystèmes et la structure des territoires socio - économiques. La pierre, objet d'art et partie d'un tout, renvoie à des questions très actuelles.

Les pierres ont une taille humaine, de la paume au corps en pied, pour proposer un face à face de l’homme avec le minéral sans jouer sur le spectaculaire qui biaiserait le vis-à-vis.

Dire la terre

Géologie signifie « dire la Terre ». L'exposition dit la terre des quatre communes d'Erquy, Fréhel, Plévenon et Plurien.

La faune, la flore et les milieux aquatiques sont désormais valorisés dans nos cultures occidentales. Hors l’architecture, les paysages spectaculaires et certaines traditions locales, c’est beaucoup moins vrai de la géologie. Sa présentation, quand elle existe comme, par exemple, “Les roches armoricaines” aux Champs Libres de Rennes, se fait avant tout par une approche scientifique. Or, dans d’autres civilisations, il en va tout autrement. Collecter des pierres est une activité normale pour un lettré chinois ou japonais depuis des siècles. Tout lettré a sa pierre et, à notre époque encore, on dresse une pierre naturelle lors d'inaugurations officielles. Dans ces pays, c’est un art à part entière.

L’exposition propose « un art des pierres » occidental en lien avec les expositions scientifiques pour constituer une approche globale qui s’adresse autant aux sens, à l’imaginaire et à l’esthétique qu’à la raison pour valoriser au mieux la géologie et élargir le champ du regard des visiteurs.

La beauté des pierres

L’exposition n’aborde ni les minéraux dont les couleurs vives et les cristallisations attirent le regard, ni les fossiles qui frappent l’imagination. Nous montrons la beauté des masses rocheuses, brutes et communes qui constituent le relief et l’habitat.

La symbolique de la pierre a toujours été très ambivalente. Par exemple, il y a :

- la banalité du caillou auquel on ne prête pas attention, la pierre qu'on foule au pied jusqu’aux sites naturels qu’on ne respecte pas (exemple d’anciennes carrières devenues des décharges sauvages ou industrielles);

- le cœur de pierre, la dureté inhumaine, symbole du rejet de l’autre jusqu’aux problèmes inter - culturels de nos sociétés contemporaines ;

- mais aussi la solidité du roc, le symbole d’éternité, la pierre de fondation…

L’exposition rend compte de cette ambivalence de façon visuelle par la scénographie.

Exposer une pierre, c’est d’abord et avant tout l’extraire de l’anonymat d’une grève ou d’un éboulis, la collecter, puis la transporter pour la mettre en exergue. Dresser une pierre en stèle, là réside notre rôle d’inventeur de la pierre collectée. Elle ne nous appartient pas. Elle sera replacée dans son lieu d’origine après usage. L’exposition s’inscrit résolument dans une démarche non marchande, à but artistique et pédagogique. Elle est inédite et portée par l’association Géomnis que je préside et qui travaille avec de nombreux partenaires éminents.

A l’intersection du regard scientifique du géologue et du regard esthétique de l’artiste, nous montrons la beauté des pierres là où elle n’est habituellement pas remarquée. C’est la matière elle-même qui préside à sa forme et sa patine d’érosion. Mais une pierre exposée n’est pas seulement belle esthétiquement, elle témoigne aussi du paysage qu’elle structure. Elle en est un microcosme et en devient l’emblème. Elle est partie d’un tout. Elle représente la Terre.

Une pierre que l’on accepte de regarder par cette approche devient un miroir aveugle, une glace sans tain qui nous renvoie radicalement à notre intériorité et à une interrogation forte sur la place de l’homme dans son environnement.

La pierre a une actualité intemporelle. En l’exposant comme un matériau brut, concret, palpable (les visiteurs sont invités à la toucher), nous convoquons la réalité sensible face à une civilisation du virtuel. Nous oeuvrons pour que la réalité des paysages et des territoires soit pleinement prise en compte dans le développement durable.

Des pierres en face à face avec le visiteur

Les pierres sont sur socle, accrochées à des parois démontables ou suspendues (sans rien devoir au plafond des divers lieux d’exposition). Aucune pierre n’est posée au sol car l'exposition est sur la forme un relèvement physique et sur le fond un relèvement de valeur pour un face à face avec le visiteur. C’est dresser une pierre en stèle.

L’exposition évite toute surabondance de texte et elle offre un contraste vif entre le matériau brut de la pierre et le support pour surprendre le visiteur. Parce que la pierre est souvent peu valorisée (hormis le grès), la scénographie est essentielle pour impliquer le visiteur accepte dans la démarche de regarder une pierre en face.

L’exposition est conçue pour une ouverture du regard sur diverses pistes où chacun vagabonde librement en s’intéressant par exemple à l’esthétique inattendue des formes et des matières, à la présence des roches qui imprègnent l’imaginaire, à une lecture plus symbolique de la pierre et du paysage ou à une nouvelle dimension du patrimoine naturel…“

Marc Lucas, 21 novembre 2008
Association Géomnis, créée par Marc Lucas. Conception et organisation du Géofestival.


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